Les Secrets de Saint Roch
J’ai fermé les volets, les rideaux sont tirés. Dans la cheminée les cendres ont été retirées, et l’âtre nettoyé. Le moulin, cette maison de campagne où il y eut fêtes et rires, parfois des pleurs, où il y eu de soleil et de la neige, vit ses derniers instants, Bientôt de nouveaux propriétaires vont le ressuscité. Je ne reviendrai que pour signer les papiers officialisant la vente, l’acte de décès en quelques sortes. Les déménageurs viendront prendre les restes, le mobilier allant au garde meuble. La page sera définitivement tournée. Comme des dernières traces de cet instant de vie, la coupure de l’eau, de l’électricité dont la modernisation avait coûté si chère et du gaz apporteront demain leur coup de grâce. Comme un malade le corps principal, la grande bâtisse sera débranchée. Les derniers craquements de plancher marquent les sanglots des pièces désormais laissées presque vides.
Dehors les grands peupliers balancent les bras pour un ultime au revoir. A leur pied la rivière, court d’eau de fin d’été, humblement s’écoule en respectant presque le silence.
Je pensais tout connaître de ce vieux moulin à eau, de son parc, de son ruisseau. La demeure au long de ces quelques années de ludique collaboration m’avait offert tous ses petits secrets dans ses recoins cachés. Les endroits, où l’on peut surprendre les poissons, rencontrer l’écureuil et les oiseaux. Les lieux où la lumière joue discrètement avec les arbres et ouvre une porte dérobée en un clin d’oeil complice sur la vie et la faune. Je pensai tout connaître de ces pièces qui à notre première rencontre m’avaient semblées si nombreuses et si grandes. J’avais visité et dormis dans ses six chambres, profité de ses deux salles de bain, couru, jouer et étudié dans ces salons. Mais il y a deux semaines cette vieille complice me fit son dernier cadeau. Dans un ultime geste pour me retenir et ne pas rompre.
La statuette de saint Roch, que je n’avais jamais touché, était restée protégée dans son alcôve par une espèce de grille. La clé qui l’ouvrait avait réapparu dans le fond d’un tiroir de la grande pièce quelques jours après mon arrivée. J’avais décidé de bouger la représentation du saint des voyageurs pour la débarrasser de ses toiles d’araignées et de la poussière que le plumeau ne parvenait plus à atteindre. Je déposais le personnage d’une manufacture peut remarquable et entrepris le ménage. Il fut rapide mais alors que je m’attachais au nettoyage de la mosaïque qui en tapissait le fond, je fis tomber un carreau. Pour le rattraper avant qu’il ne se brise, je renversais également la statuette. Le socle s’ouvrit, me réveilla un papier plier en quatre, jauni par le temps et une petite clé. Le morceau d’émaille me cachait un petit orifice, une minuscule serrure.
Le papier était un message à l’attention des voyageurs sur le départ, une prière ou un au revoir.
« Toi qui va quitter cette demeure
Toi qui y vit tes dernières heures
Tu respectas et aimas ce lieu,
Trouve derrière ce Saint son adieu.
Depuis la construction de cette demeure
Peu trouvèrent cette cachette et sa mémoire.
Ces quelques voyageurs ont eut l’honneur
De laisser un peu de leur propre histoire.
Les souvenirs sont parfois douloureux
Pour voyager loin il faut être heureux.
Laisse au Saint pleures et chagrins
Dans sa cachette il en prendra soin.
La maison te laisse lire et partir
Mais laisse ici sa mémoire sans la trahir. »
La clé avait roulé quel que part, il me fallait la retrouver. Je soulevais les tapis, regardais entre les lattes clouées au sol. Je la trouvais entre les planches de escalier qui menait au premier étage. Enlevant les clous, elle gisait parmi la poussière et des restes de cartes postales. Celles -ci représentaient le moulin à différentes époques. On pouvait y voir les différentes étapes de sa construction, l’arrivée du Saint.
En septembre 1985 mon père acquit une maison de campagne dans le Berry. Il faisait un retour aux sources. Ses parents étant originaires de la Creuse, il était à la recherche d’une maison, d’un moulin qui lui rappellerait son enfance et ses pèches miraculeuses. Un jour qu’il nous expliquait la technique pour tendre des cordes, il nous racconta une histoire. Il avait attrapé une anguille si grande que, lasser de tirer sur le corps du poisson pour le faire entrer dans la barque, il le coupa en deux et rentra. Le lendemain un ami vint lui rendre visite. Mon père lui décrit son aventure. Cet ami à la fin de l’histoire fit un grand sourire et se dit rassuré. Il venait d’attraper l’autre moitié. On fait toujours confiance en ce que nous content nos héros, j’ai cru cette fable un certain nombre d’années.
Il lui fallait donc une rivière, à ma mère un jardin et pour nous un terrain de jeu. L’harmonie fut trouvée au bas d’une colline où siégeait une bâtisse rectangulaire, deux dépendances dont une avec deux boxes pour des chevaux, deux bras de rivière et deux champs dont un avec une grange. Sous un préau dormait depuis certainement longtemps une vieille carriole à chevaux. Son réveille n’était pas prèt de sonner ses énormes roues en bois servant de portails. Les chevaux eux aussi avaient disparu et la paille dans la grange nous aurait fait un excellent terrain de jeu si les guêpes n’y avaient pas fait leur nid.
Le corps principal semblait avoir été construit en plusieurs étapes. Les pièces sertissant la roue paraissaient avoir presque deux siècles. D’autres pièces furent construites pour abriter le meunier. Aujourd’hui encore les chambres principales occupaient cet espace et les mécanismes et sa meule avaient été remplacés par une cuve à fuel. Plus tard ce qui devint la cuisine et la salle à manger fut rajouté.
Au deuxième étage se trouvait une immense salle aux pavés noires et blancs. La cheminé pouvait contenir des bûches en réserve de près d’un mètre cinquante et laisser suffisamment de place, dans le foyer, pour griller un cochon de taille raisonnable ou un mouton à la broche. Un soufflet de maréchale ferrant d’un mètre de large et de deux de long, attisait le feu. Sa chambre à aire devait avoir été faite dans la peau d’une vache entière. Nous pûmes accueillir dans cette salle soixante dix personnes assises pour une fête.
En dehors de cette pièce il y avait deux chambres, une salle de bain et une cuisine contenant un lit, des armoires, une table transpercée par un pilier. On pouvait y déjeuner à vingt sans problème. Enfin une mezzanine couronnait le plafond. D’un côté il y avait un lit que nous voulûmes occuper et en face un billard français avec tout le matériel. Nous passâmes un temps certain autour du tapis vert mais jamais l’un d'entre nous n’osa occuper le lit. Les murs, le toit craquent constamment. La nuit les fantômes envahissaient l’espace. Le sommeil était impossible avant les premiers rayons de soleil.
Nous avons rapidement fait connaissance avec les différentes salles. Le parc restait à découvrir. La rivière et le bief créaient une île magique. Les roseaux ondulaient au grès des vents et dessinaient des danses mystiques sur les eaux. Les rayons de lumières parmi les feuilles découvraient une vie riche et surprenante. Anguilles, poissons de toute sorte habitaient le lieu. Les rats gondins avaient construit des hlm tout les long des rives. Après la roue le courant se faisait plus discipliné. Les algues d’un vert hypnotique ondulaient calmement. J’ai vite pris l’habitude de les regarder se mouvoir, à l’abri de deux bosquets de noisetiers. Parfois des truites rompaient cette cérémonie apaisante.
Les premiers travaux apparurent l’été suivant. Le potager fut retourné et remplacé par une pelouse qui, ont l’espérait, deviendrait l’équivalant de certains espaces verts britanniques. Quelques vieux êtres furent également coupés. Ils devenaient dangereux pour la toiture neuve. Enfin, ont profita du niveau bas de la rivière pour couper complètement le courant et la draguer. Une motte de terre fit barrage au niveau de la petite île et l’on attendit l’assèchement. La vieille roue fut également remplacée. Un ami de la famille devait faire abattre des chênes. Le bois fut envoyé chez un charpentier qui oeuvra magnifiquement.
Mon travail consistait à vérifier le mur soutenant le pont devant la roue. Je grattais la mousse, enlevait le ciment pourri et le remplaçais. C’était un travail intéressant parce qu’il se faisait à l’ombre et au frais. C’est un avantage certain en été. Il offrait également une vision particulière de la rivière, du moulin et de sa roue et des poissons prisonniers des flaques d’eau. Pour rompre la monotonie du grattage j’en attrapais un ou deux pours les mettre de l’autre côté de la roue ou l’eau avait creusé et restait plus profonde. De cette place et proche de la fenêtre donnant sur la roue je pouvait voir l’escalier où, sans que je le sache, la clé avait roulée.
Je repris la clé, redressai les clous, et fixai sans trop de marque les planches de l’escalier. Au préalable le images furent mise dans une boîte métallique et replacées dans la cavité des marches.
La clé ouvrit, non sans un cri de rouille réticente, la porte de mosaïque et me laissa découvrir pelle melle, en plus de la poussière, des photos et des papiers, papiers tamponnés à l’allure officiel et du courrier. Je trouvais également une paire de gants noirs et un blanc ainsi qu’un collier d’appareil photo. Il résidait dans cette cachette quelques vieilles photos en noire et blanc. Le blanc était plus tôt jaune en faite. Elles témoignaient de jours heureux passées dans cette demeure. Des mariages et des anniversaires y avaient été célébrés. Les images de personnes seules montraient un noir obscur notamment dans leurs vêtements. Leur visage semblait gris et fatigué. Les yeux, leur regard appelaient la lumière des jours de fêtes mais ne recevait que de l’ombre d’une grande solitude ou d’une grande tristesse. Ils étaient perdus fixant le vide de l’objectif.
Je pu déterminer trois tas différents de photos et presque autant pour le courrier en fonction des noms et des signatures. La plus ancienne pile datait du début du vingtième siècle. Le minotier possédait quelques vaches. Son épouse créât cette cache pour protéger le souvenir de son mari parti sur le front. C’est également elle qui avait apparemment écrit le message. Une lettre griffonnée en hâte sur un bout de papier avait dû prendre l’eau. Des traces de pluie empêchaient une lecture fluide et quelques mots manquaient. L’époux avait envoyé des indications pour la bonne tenue de la roue et du mécanisme servant à moudre le grain. La lettre s’achevait par « Si je ne reviens pas arrête la roue, vend tout et va chez ma mère » Ypres le 21 avril 1915.
Sur la deuxième feuille la femme expliquait que son départ étant imminent cette cache deviendrait une espèce de sanctuaire à l’usage de l’oubli. Tel était le sens de premier message découvert hors de coffre. Ainsi avait-elle laissé la missive de l’armée Française que beaucoup de veuves reçurent jusqu’au 11 novembre 1918. Le document officiel était daté du 23 avril 1915. Derrière une photo était écrit « Veille du départ 18 janvier 1919 ». La femme était en noir. Sa main gantée de la même couleur tenait un enfant de 5 ou 6 ans.
Le deuxième groupe se composait de nombreux courriers échangés sur probablement cing ans. Il y avait trois photos qui se rattachaient assez bien avec ces textes. Une famille avec un fils unique et un couple puis une femme seule encore en noir. D’après les papiers, l’homme avait acheté la maison pour sa femme. Il lui avait construit la grande pièce pour des réceptions. Lui ne venait que pour et pendant la chasse. C’est à l’occasion d’une de ces visites que la photo de famille fut prise. Le jeune homme au milieu devait être le fils. Le garçon regardait l’objectif avec un air peu enjoué. Il avait certainement du le forcer un peu pour le faire poser. L’homme, le père, regardait son fils avec le regard de celui qui va en demander beaucoup parce que très optimiste pour son avenir. Avec un peu de chance le fils aura suivit son destin, sans, il sera devenu médecin ou aura repris l’affaire familiale. Pour le moment l’uniforme le disposait à une carrière militaire très précoce ou à une école privée, une pension. La femme regardait soit le fils d’un air inquiet soit l’époux d’un air mécontent. La qualité approximative du photographe ou un incident parvenu au moment du développement avait rendu flou son visage. Peut-être avait-elle tout simplement tourné la tête au mauvais moment. Aucune date n’était inscrite au verso des images.
La correspondance semblait indiquer une certaine inquiétude de la part du mari pour sa femme. Celle–ci semblait montrer une lassitude permanente ce qui avait poussé l’homme à l’envoyer à la campagne pour organiser sa vie autour d’une production de farine locale, loin de la ville ou pour mener une vie de bourgeoisie provinciale.
La dernière lettre était celle d’un avocat stipulant les accords finaux d’un divorce. Elle gardait le moulin, percevait un dédommagement parce qu’il reconnaissait ses tords. En accord avec l’avocat de la partie adverse, le désormais ex-mari rachetait les parts de l’usine qu’elle détenait. Cela devait lui garantir un niveau de vie suffisant pour refaire sa vie.
Ce que je ne comprenais était cette troisième photo. Je la classais à la même époque à cause des bâtiments du fonds. Elle était collée légèrement de travers sur une feuille un peu trop grande. Un rayon de soleil qui traversa un nuage et la fenêtre démontra qu’un texte était derrière. Le temps passé avait collé l’image à la lettre à qui trouverait la cachette. La photo représentait la femme sur départ. Elle se remariait avec un ami d’enfance. Il était ingénieur et partaient tous les deux pour Mururoa. Les voisins avaient sa nouvelle adresse à l’attention du fils qui n’avait pas donné signe de vie depuis quatre ans, depuis le divorce. C’était le 24 juin 1968, elle bloquât définitivement la roue.
Les derniers souvenirs concernait un homme qui voulu quitter le monde des affaires ou tout du moins celui de l’entreprise et de la ville. Il s’était marié jeune avait eu un enfant. Des voyages l’avaient emmené au quatre coins de la terre, un nombre impressionnant de photos en témoignait. Mais de sa fille il ne posséda qu’une photo d’elle petite. La seule trace de la présence du voyageur au moulin était celle d’un vieil homme barbu, sur un ban à côté de la roue. Cette dernière semblait déjà dans un état de fragilité importante. Quelques pales manquaient à son râtelier, la chaîne la bloquant était déjà bien rouillée. Chose amusante, il portait la petite clé autour du cou. La photo portait l’écriture d’un texte explicatif succin. L’homme avait misé sur l’argent et le pouvoir toute sa vie. Mais à la fin de celle-ci, il s’aperçu que la véritable valeur, capable de passer le trou noir de la tombe était l’amour. Le seul qui lui restait était celui de sa fille qu’il n’avait pas revue depuis plusieurs années. Sa femme avait fuit avec elle pendant une de ses expéditions ou un de ses voyages d’affaire interminable. Divorcé rapidement elle avait décidé de rompre totalement avec cet homme. La photo fut prise par sa fille qu’il venait de retrouver. Tous deux s’étaient assis sur ce même banc. Ils s’étaient expliqués et surtout s’étaient retrouvés. Deux jours plus tard le vieil homme pris d’une violente migraine s’endormit. La jeune fille raconte qu’un sourire merveilleux inondait de vie le visage de son père. Elle refermait les secrets de Saint Roch suite à la cérémonie et emmenait la dépouille de son père retrouvé avec elle. Elle laissait les images, ses rêves de retrouvailles et n’emportait que les souvenirs de cette discussion sur le banc. Elle partait en reportage au Viêt Nam. Février 1966.
J’avais balayé presqu’un siècle d’histoire, d’histoires discrètes de famille et d’amour. Des amours perdus, d’autres qui naissent et d’amour retrouvés. Le saint des voyageurs surveillait ce petit trésor et protégeait peut-être encore ces personnes en voyage.
Il semble que nous cherchions tous un amour. Certain espère éternellement un grand amour, celui des comptes de fée. Mais il est un rêve et comme tout rêve idéal. Le véritable amour ne se rencontre que lorsqu’on l’a oublié. Certains ont la chance cependant de le vivre au quotidien parce que n’attendant plus rien ils l’ont trouvé. Pour d’autres c’est l’amour filial, le plus naturel et peut être le plus difficile. Nous ne connaissons malheureusement ce qu’il est vraiment que lorsqu’il s’éloigne. C’est un apprentissage redoutable auquel on ne peut ni ne doit échapper.
Pour ne pas interrompre la chaîne je finis ce soir et avant mon départ de rassembler quelques photos et des papiers. Des articles de journaux justifiant mon départ et quelques poèmes. Un jour futur quelqu’un trahissant le secret osera peut-être les publier. Je joins quelques photos, photos de fête, photos de famille avec mes parents et une de leur enterrement. Pour sauvegarder l’ensemble j’ai tout scanner et mis sur un disque laser. J’ai reposé les originaux qui finiront peut-être en poussière. Le tout a pris place dans une caisse et j’ai renfermé l’ensemble dans l’alcôve, replacé tout les gants et le collier, la clé et la lettre sous le socle du saint comme les autres les laissèrent. L’objet était un bout de corde avec lequel nous péchions, et une clé de voiture qui ne servira jamais plus.
La clé qui ouvra la grille et donne accès au premier secret, à la lettre de 1919 était depuis deux jours dans le tiroir où je l’avais trouvé. J’ai voulu ce matin jeter un dernier coup d’oeil à ces histoires. Elle n’y était plus.