Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 novembre 2006 1 06 /11 /novembre /2006 11:54

Si les vieux parlent

 

Les vieux parlent et ce que leurs yeux mystérieux semblent dire est bien plus que ce qu’ils racontent.

J’ai rencontré un certain nombre de personnes âgées. Certains avaient plus de 90 ans. Au premier abord leurs yeux sont tous identiques, ridés et mi-clos comme éblouis par une lumière. C’est peut-être celle d’une sagesse née d’une vie de lutte, d’amour, de plaisirs, et de tristesses partagées entre folie et raison.

J’ai rencontré un certain nombre de ces personnes et si peu en réalité. Pour ceux aux facultés encore intactes, leurs discours possèdent un calme similaire à celui qui regarde une pleine. Ils semblaient tous comme attendant quelque chose. Un rendez-vous avait été pris, peut-être, de longue date. L’ombre des certitudes plane dans leurs attitudes alors qu’ils regardent la vie, les gents les événements en spectateurs. Ils s’étonnent, s’énervent, s’enthousiasment pour des faits, des situations, des décisions politiques. Voulant se raccrocher, s’encrer encore un instant dans la réalité quotidienne, ils proposent des solutions : Si j’avais ton âge je ferais cela, si le gouvernement me laissait faire, je réglerais le problème ou la situation en deux jours à peine. Ils parlent au passé : « de mon temps cela n’aurait jamais été possible. » Cette phrase laisse alors deux possibilités : soit c’est un progrès envié soit ils considèrent ce fait comme une erreur. Le gouvernement laxiste ou corrompu, peu fiable, qui n’a rien compris et ne comprendra jamais rien, ne fait que des « conneries ». La mémoire du Général est alors sollicitée.

Pour quelqu’un de vingt ans, toute la vie est devant lui. A leurs yeux, la fameuse jeunesse ne comprend pas grand chose et cela est expliqué par un regret : « La vie est trop facile, avant il fallait travailler dès que possible, certains se sont bâtis des fortunes mais ils ont travaillé dur pour cela et pendant des années. Vous voulez tout de suite. Un salaire de ministre, 35 h par mois, la retraite à 50 ans, une belle maison, un jardin et vous ne pensez qu’aux vacances. » Si certains réussissent dans ces nouveaux marchés, les vieux que je croise s’étonnent que je n’aie pas encore fait fortune en profitant du filon ou ne soit pas déjà en retraie ou chef de mon entreprise, d’une multinationale.

Ce qui me passionne le plus chez ces personnes, un peu bizarre, c’est leur calme, leur semblant de recul des choses de ce monde. Leurs paroles font d’eux des voyageurs en attente ou les rendent semblable à de vieux animaux sauvages, jamais domptés et pouvant à l’occasion encore mordre. Ce que j’aime le plus au travers de ces voiles, c’est leur mémoire.

 

La mémoire des autres

Ou un déjeuner d’été

 

   La nature de mon enfance est faite de collines vertes et boisées annonçant déjà l’esprit montagneux des Vosges. Les routes et les rivières serpentes, se suivent, se cherchent pour nous emmener dans des lieux secrets, surprenants, humbles et discrets. Pour celui qui sait regarder et surtout voir, pour celui qui sait écouter et sentir, pour celui la seulement, la nature se révèle. Les couleurs doucement l’envahissent caressant le paysage d’un halo d’émeraude à la fois doux et profond. Une respiration, une brise légère dépose des parfums de terre, d’herbes, de fleurs sauvages et de feuilles, de bosquets et de bois riches de vie. L’été, les champs s’enflamment en des senteurs de bouquets délicats et apaisants. Les oiseaux, les rapaces, les biches et d’autres animaux plus beaux les uns que les autres entament leurs chants de vie. C’est un petit coin de paradis qui peu à peu disparaît tronçonné, découpé par les routes, envahi par les touristes aveugles.

 

En trente ans j’ai vu disparaître impuissant, l’Avalon de mon grand-père. J’ai vu évanouir avec la sécurité de l’enfance mes terrains de jeu, de guerres et de chasse aux escargots. Avec eux, la mémoire des vieux, qui me regardaient les yeux emplis d’espoir pour les générations futures, s’efface peu à peu. Que va t-on devenir sans leur vie passée emplie d’erreurs salvatrices, de joies et de souffrances ? Qui pourra décrire ce qu’ils ont vu, ce pays merveilleux où j’étudiais des choses passionnantes avec le meilleur des professeurs ? Qui pourra bientôt emmener son petit-fils pour lui apprendre à lire la nature ?

 

Dans la campagne de mon enfance deux fleuves prennent leur source et chaqu’un choisi sa route. L’un va vers le sud, vers le soleil, les vignes et l’autre s’enfuit à l’Ouest vers Paris, les blés, l’orge et le maïs. Ma campagne possède tout de ce que ces deux eaux emportent. Elle se suffit à elle-même et discrètement survie sans trop se faire connaître. Langres, comme un monstre immobile surveillait la campagne depuis des siècles. En 1900 la petite cité comptait prêt 4 000 habitants et quelques 117 cafés, bars, et autres débits de boissons. J’imagine que dés vieux murs ont pouvait voir à perte de vue successions de champs et de bois, quelques bâtisses tapis dans l’ombre, le couvent des Ursulines et les quatre lacs. Quelques routes invitaient l’esprit aux voyages. D’un côté celle menant à Chaumont, Troyes puis à Paris, de l’autre Strasbourg puis l’Allemagne. Depuis l’invasion romaine ses routes étaient certainement satisfaites de leur tracé et n’avaient pas changé.


 

 

A l’extérieur de la ville, un écrin de feuilles encercle le dôme soutenant la statue d’or de Notre Dame. Elle fait face aux remparts vieux de plusieurs siècles, aux tours massives et grossière devenues hôpital, pigeonnier militaire, ruines, puis finalement maisons ou cabinets privés. Langres se dresse fièrement à la vue du voyageur. Dans peu de temps il passera la grande porte qui le sépare du calme, de la fraicheur et d’un repos bien mérité.

 

   Depuis des siècles, voir des millénaires cette vue s’est révélée aux pèlerins, aux passagers en route vers l’Alsace, la Bourgogne, la Champagne et ce avant même que ces régions ne soient appelées ainsi. Les romains s’installèrent en nombre sur cette colline. Les Gaulois cultivaient les champs aux allant-tour avant leur arrivée. D’autres encore, avant eux certainement, péchèrent dans les rivières à proximité mais ne laissèrent que peu de traces.

Les murs d’enceintes furent construits à partir du XIIème siècle. De ceux qui précédèrent, il ne reste pas grand chose si ce n’est la porte romaine datant du IIème siècle de notre ère. Il est difficile d’imaginer le paysage qui bordait les constructions. Je rêve d’une grande forêt s’étendant à perte de vu. Quelques champs ou prairies, peut-être, l’éclairaient ça et là. Des animaux domestiques devaient pêtrent nonchalamment et l’on apercevait des cerfs, des sangliers et autres animaux sauvages.

   Aujourd’hui il y a des maisons qui envahissent le paysage. Les champs se lient à elle par des bosquets d’arbres. La forêt recule et fuit derrière les collines. Mon grand-père protégea et a entretenu une parcelle de cette forêt, lègue de son père, pendant 50 ans. Il y a quelques chênes, des frênes, des hêtres, des bouleaux. Petits nous faisions un jeu : celui de reconnaître les essences de bois, de champignons, d’oiseaux aux milieux de ces majestueux piliers. C’était une chapelle et la plus belle qui soit. Nous faisions notre catéchisme écologique et la communion était faite d’une eau fraiche et d’un gouté de tarte aux pommes.

 

 


Grand père George

 

La rentrée 1922

 

La première cloche sonne la rentrée des élèves du collège Diderot. La rue du même nom, qui avait repris pour un instant les bruits d’une activité normale, retourne au calme estival. Le soleil étire ses derniers rayons d’été. Les étudiants retiennent dans leurs souvenirs, un moment encore, leurs vacances. Bientôt ils devront attendre la récréation. On ne bavarde pas dans la classe du maître. Les 40 élèves, tels de futurs soldats déjà bien disciplinés se mettent en rang. Au premier regard de l’instituteur, ils entrent en silence et regagnent leur place abandonnée deux mois plus tôt.

 

Les élèves, devenus pour beaucoup des hommes trop tôt, avaient vu leurs vacances laborieuses par le travail des champs. La vie reprenait ses droits et comblait peu à peu les absences inventées par la guerre. L’été 1922 continuait à soigner les plaies dans un souffle de paix. Même si l’Allemagne demandait un moratoire, on pouvait croire qu’il ne devrait plus avoir de guerre. Une telle moisson d’âmes ne pouvait avoir court de nouveau sans que l’humanité ne perde un peu plus la sienne. Avec les blés les monuments saluant les sacrifices poussaient. Les commémorations allaient bon train. Les gueules cassées essayaient de vivre.

 

Les élèves se préparaient à de nouveaux cours. Math et français, géographie et surtout histoire qui s’était enrichie de nouveaux chapitres. Ce qui est pratique avec la petite cité c’est que l’histoire y est omniprésente. Des romains à nos jours les travaux pratiques trouvent leur place sur les murs des maisons et dans la campagne environnante. Les élèves de dix ou onze ans s’apprêtaient au certificat d’étude. Le travail allait être long et difficile, mais seul le résultat comptait leur dit l’enseignant. Les plumiers, les encriers et les tabliers existaient encore tout comme la discipline, le respect et une certaine idée de la France. Ils étaient une vingtaine d’élèves en ce mois de septembre 1922. La promotion 1922 allait connaître d’autres évènements encore plus troublants. Comme un bateau pris dans la tempête, les vagues de la vie emporteraient certains équipiers. Parmi ces moussaillons se trouvait grand père George.

 

J’ai retrouvé, au hasard d’un été les quelques survivants de cette rentrée de 1922. Ce fut pendant l’été 1993. Ils n’étaient plus que 7 que la vie n’avait pas encore réussi à séparer. Ils n’étaient plus que 7 en 70 ans d’existence. Tous se retrouvaient régulièrement comme pour faire fasse aux affronts du temps et de l’histoire. Ils arrivèrent un par un, certains encore accompagnés de leur épouse.

Chaque nouvel arrivant faisait une tentative d’entrée discrète. Il était accueilli comme un chef victorieux. Un survivant de plus revenait chargé d’histoire. Lui avait le regard de quelqu’un qui se réveille. Un peu vague, frappé de lumière, il retrouvait le jour et ses amis. C’était leur bouffée d’air. Ils attendirent un moment avant de se mettre à table pour l’apéritif. Attendaient-ils un miracle, un ressuscité ? Je lisais dans leurs attitudes et leur regard qu’ils étaient au courant de leur nombre exact parce que maintenant habituel. Certains demandèrent néanmoins des nouvelles de certains absents.

 

-   « Tu as réussi à joindre un tel ? Que devient l’autre ? »

-   « Il est à l’hôpital, il ne va pas très fort. Il enterrait un copain de régiment ou pour simple réponse : L’invitation m’a été retournée par sa fille. » Et changeant de sujet dans l’espoir de conjurer le sort ou de laisser planer l’hypothèse d’une vie toujours présente :

-   « Tiens ! Tu es venu avec un de tes petits-fils ? Et s’adressant à moi en guise de bonjour. »

-   « Tu risques de t’ennuyer jeune home avec des croulants de notre âge. Nous passons notre temps à ressasser de vieilles histoires. »

-   « Cela doit en faire un paquet à raconter vous croyez que vous aurez assez de temps ? Je veux dire pendant le déjeuner bien sûr. »

La réponse fut un regard en coin souligné par un sourire et un appel à l’apéritif. Les convives s’installèrent plus ou moins loin de leur épouse respective. Je pris une place laissée vacante à proximité de mon grand père alors qu’un serveur enlevait les assiettes laissées à l’abandon. Elles n’espéraient plus personne.

Je me suis retrouvé face à un homme portant bonne allure et belle figure délicatement soulignée d’une fine moustache grise qui malgré un regard un peu triste posait sur moi des yeux à la fois curieux et timides. Les autres l’appelaient soit par son prénom soit par le diminutif de « Monsieur le préfet passe-moi le pain s’il te plait ! »

Cet homme pris sur soi de savoir qui j’étais. Chose peu aisée pour quelqu’un qui semble être descendu du train de la vie. Les progrès, les études d’aujourd’hui sont des informations qu’ils font mine de ne pas pouvoir ou vouloir comprendre. En retour de politesse et pour ne pas laisser de silence s’installer, je l’interrogeai plus ou moins délicatement sur sa vie. Il finit par raconter une parie de son histoire, les passages qui l’avait le plus marqués.

Grand père George enrichit l’histoire de quelques dates, précisions sur les lieux et les personnages. Dans mon esprit s’animait un film en noir et blanc inspiré par l’armée des ombres. Traction avant déchirant la nuit, hommes en noir faisaient fasse à d’autre en uniforme SS ou en imperméable de cuir. Le chapeau était de rigueur quel que fut le camp. Le sang lui était le même. L’homme revivait ses épisodes avec détachement. Un écho amer s’entendait dans sa voix comme un arrière goût de regret. Emporté par l’histoire, ses brillantes études d’avant guerre, il avait finit préfet et haut gradé de l’armée française. Envoyé à Berlin, il avait pour mission d’inspecter les troupes françaises et de rendre visite aux autres camps. Les plus belles cuites de sa vie me dit il. L’échange s’enrichit des vies des autres. George fut le dernier à parler. Il ne dit presque rien. Rien que je ne sus déjà. Rien d’autre que ce qu’il écrivit quelques années plus tard. Les Diables Rouge, sa promenade à travers la France et la débâcle, sa démobilisation. Il passa sur ce soir où traversant un village en ruine il pu trouver un abri dans une maison et se sustenter d’un lapin abandonné dans un clapier. Il répéta souvent, je n’ai jamais eu fin et conclus par je ne me suis soulé qu’une fois. Je dû attendre quelques années pour en connaître l’occasion et m’empresser de l’oublier.

 

 

Il fut appelé sous les drapeaux le 1er septembre 1939 alors que son service militaire avait commencé près d’un an plus tôt le 24 du même mois.

 

Le premier septembre 1939 la caserne Turenne de langres l’accueillit au 14 CID (Centre d’Instruction Divisionnaire) et il fut successivement chauffeur du commandant de la place, le Colonel Carré, puis planton à la sous-préfecture de Langres. Il conduisit un jour le sous-préfet chez un dénommé Perfetti qui fut d’après ces souvenirs ministre pendant une dizaine de jours, tel fut tout du moins son titre. Enfin, avec un de ses camarades, un certain Maurice M., il fut nommé chauffeur de M. Fernandel, qui déjà à l’époque était un comédien célèbre. Quel tallent avait –il me disait mon grand père. Mais plutôt que de parodier sa mémoire je le laisserai s’exprimer.

 

Voilà ce qu’il nota :

 

« Nous allions le chercher à l’hôtel de L’Europe chaque jour Maurice et moi. Il avait créé un « foyer du soldat » et à plusieurs reprises nous l’avons emmené quêter chez les commerçants de la ville. Devant l’attraction qu’il suscitait, ce qui provoquait un rassemblement de badauds et de militaires, je l’entraînais au café de ma mère et c’est dans la cuisine, devant un « Ricard » que l’on terminait la Tournée. Un jour, il fut réformé par un jury de militaires et de médecins. Mesure que j’ai approuvé, estimant que la personnalité et le talent de cet acteur vedette servirait plus la patrie à l’intérieur du pays plutôt qu’aux frontières dans un régiment du génie.

Arrive maintenant le moi de décembre, et devant l’offensive Allemande et les pertes subies par nos troupes, le commandant fît appel aux réserves et c’est ainsi que le 26 décembre 1939 le départ pour la Lorraine fut annoncé.

Je n’ai pas cherché à me cramponner à Langres, soit auprès du Commandant ou auprès du sous préfet. D’autant plus que le directeur du Crédit Lyonnais, M. S, était intervenu auprès du Colonel. J’étais obligé d’aller y travailler un jour par semaine à mon fort déplaisir.

Nous ne connaissions pas notre destination, mais la radio avait annoncé sur les ondes «  bonne chance à la 14ème Division qui monte à Dieuze. Pour ma part et avec quelques camarades Thénnail, Barbotte, Cipette, Rousselle, nous nous retrouvions à Wahl Les Benestroff, dans la neige, le froid. Il faisait –25 ou –30°. Trois mois passèrent sans voir la couleur de la terre.

On m’a désigné pour suivre des cours d’études des gaz asphyxiants (moi qui n’ai pas beaucoup de nez et dont la consommation de cigarettes réduit encore les aptitudes) et j’ai plusieurs fois fait le déplacement à Bénestroff, siège de la division De Lattre De Tassigny.

Courant avril 40, repos à Luneville. Le 10 mai, alerte. Les allemands ont envahi la Belgique et le Luxembourg et poursuivent vers le sud leur offensive. Nous montons en renfort à Rethel. Je suis affecté à la 9ème compagnie du 152ème R.I., prestigieux régiment d’active entre tous, qui avait été décoré en 14-18 de la croix de guerre et légion d’honneur avec insigne « les diables rouges ».

Présenté au lieutenant commandant la compagnie, je me déclarai pupille de la nation – fils de tué en 1914 et qu’il devait me réserver légalement une place parmi les moins exposées. Il m’a répondu que dans le secteur il n’y avait pas de place privilégiée. Il m’interrogea ensuite sur ma profession de démarcheur pour une banque et conclu que je devais être débrouillard. Je fus affecté en tant que caporal comptable au bureau de la compagnie.

Là mon travail se bornait à envoyer aux familles des mandats quand les hommes avaient touché leur prêt. Nous étions au courant, par le commandant des évènements touchant à la guerre. C’est ainsi qu’un jour, j’eus la surprise d’apprendre que l’on signalait la présence de troupes ennemies à Rouen. Le lieutenant me proposa de décrocher avec le convoi hippomobile. J’acceptais naturellement. Mon équipement consistait en un fusil modèle 1915 et 9 cartouches. J’ai tiré sur un avion allemand, mes munitions furent vite épuisées et jamais renouvelées.

1ère halte, dans un village abandonné, et installé à l’intérieur d’une maison, nous commençons à casser la croute quand les chars Allemands bombardent la zone. Départ précipité, j’ai qu’en même le réflexe de mettre un morceau de poulet dans ma poche. Nous traversons des villages en flammes ou en ruines. Curieusement seules les cheminées restent debout. Je crois que notre destination était Reims. Nous passons par Marmelon le Camp. Nous subissons, mélangés avec les civils des bombardements par l’aviation et les blindés.

Je me souviens qu’avec un autre soldat, nous nous étions mis sous un petit aqueduc et j’ai vu gicler les balles dans le ruisseau quasi au bout de mon nez. Nous n’empruntions que de petites routes, à la moindre côte nous marchions ou poussions. Quelques fois il fallu faire demi tour les allemands étaient devant. Nous n’arrivâmes jamais jusqu’à Reims.

Nous avons assisté à des duels aériens ainsi qu’à des tirs de D.C.A décevants. Alors que nous regardions défiler leur avions trois par trois nos batteries n’en touchaient pas un. Quelle déception.

Des jours et des jours à marcher. Je vois encore la route et les champs qui la bordaient. A un endroit nous vîmes des parachute à terre et des soldats français qui nous invitaient à les imiter et à attendre les colonnes allemandes pour ses rendre. Il s’agissait peut-être de la fameuse « 5ème colonne » ?

Vers Chatillon sur Seine, une camionnette des « diables rouges » nous croise et s’arrête à notre hauteur. Au cour d’un bombardement elle s’était retrouvée séparée des autres. Un réflexe me fit parler : « Chef, il n’y aurait pas une place pour moi dans votre véhicule ? » Il me répondit par l’affirmative en invitant également un cuisinier qu’il connaissait. Russier, mon dernier compagnon de route vint aussi. Aussitôt dit, aussi fait. Nous laissons notre barda dans la voiture à chevaux et en route ; pensant que les kilomètres seraient plus vite avalés avec notre mécanique qu’avec des chevaux qui accusaient beaucoup de fatigue. Ce convoi fut d’ailleurs pris par les Allemands quelques jours plus tard.

Un peu plus tard aux abords d’une route nationale nous regardâmes éberluer et incrédules le défilé des civils et militaires. Automobiles, charrettes, brouettes s’étalaient sur des kilomètres.

Nous arrivons à Beaune. Là un capitaine de notre régiment nous prend en charge avec des militaires de 152ème et nous fait monter dans un train. Russier et moi, le train étant complet, nous nous installons sur une guérite de serre-frein. Nous nous attachons avec nos ceintures à des tuyaux pour éviter de chuter au cas où nous nous endormions.

Le train roule, roule, et finalement nous dépose dans une ville illuminé comme en temps de paix. A notre grande surprise nous sommes à Lyon. Nous nous rendons au foyer de la gare et prenons un déjeuner. A un certain moment, retentit un appel des haut-parleurs de la gare destiné aux soldats d’infanterie. Une porte est indiquée et un sergent vient nous demander de suivre ce commandement. 2ème appel, j’arrête un soldat se rendant au lieu de rendez-vous. « Il paraît que nous allons reformer les bataillons pour stopper l’avancée Allemande ».

Me tournant vers Russier « crois-tu que l’on puisse les arrêter à Lyon ? » Sans attendre de réponse verbale nous voici repartie sur la route à pied mêlé aux civils et aux militaires. Quoi qu’il en soit notre équipement était resté dans la roulote, nos papiers avec. Une bétaillère nous permis de parcourir un bout de chemin tout en nous reposant, si ce n’est les narines à cause de la forte odeur laissé par les occupants précédant. Mon compagnon de route nous a guidés jusque dans un petit village ou résidait des parents à lui. Des avions ennemis passèrent au-dessus de nos têtes et marquèrent leur présence par un lâché de bombes créant un grand émoi chez les civils mais ne nous empêchèrent pas d’achever notre repas. Nous en avions affronté d’autres et nous nous sentions en sécurité dans la maison.

Alors de nouveau la route. Tandis que nous traversons à pied la ville du Puy (Loire), l’entends un appel. C’était notre chef comptable qui sirotait une boisson à la terrasse d’un café. Nous le rejoignons et je lui déclare : « Chef, nous vous avons retrouvé par hasard et maintenant nous ne nous quitterons plus ». Comme tout le monde, nous descendons vers le sud et nous  faisons halte à Carmaux entre l’Aveyron et le Tarn. Un chef porion (il y avait encore de mines de charbon qui fonctionnaient dans la région) s’offre de nous héberger. C’est là, le 16 juin 1940, que l’on eu connaissance de l’armistice signé par le maréchal Pétain. Quelques jours après, ayant appris que les restes de notre régiment séjournaient à Clermont-Ferrand, nous quittons Carmaux pour le massif central. J’y ai découvert une salle immense où étaient entreposées des quantités de caisses de mitraillettes soigneusement emballées. Dire que notre régiment, qui avait guerroyés dans la forêt de La Hart, réclamait en vain à l’état major la distribution de ce type d’arsenal pour répondre aux allemands.

Quand on fait l’inventaire des effectifs de la 9ème Cie qui comptait environ 160 hommes, nous n’étions plus que 5 ou 7. Seul le chef comptable, Russier, 2 ou 3 types et moi-même en avions réchappé. Quelles pertes ! Tous ne furent pas tués fort heureusement mais furent mis hors de combat ou prisonniers.

Nous avons fait à Clermont Ferrand une rentrée quasi triomphale. J’ai eu l’occasion de bavarder avec un Haut-Marnais. Un notaire qui m’apprit que lorsqu’il était passé à Langres « tout brulait ». En réalité, il y eu vraisemblablement un ou deux véhicules ou peut-être un dépôt de carburant. La ville n’avait pas souffert.

Quelques temps après les réservistes, dont je faisais partie durent quitter la ville et je me suis retrouvé dans un hameau de côté de Gergovie, avec un Alsacien, dont j’ai perdu le nom. Nous avons proposé nos services à un paysan, propriétaire de trois vaches et de quelques parcelles de terre. Il y avait un four communal utilisé par roulement entre les familles. Je me souviendrai toujours de ces miches de pain savoureux, cuites à point au feu de bois. Je n’en ai plus jamais mangé de cette qualité.

Nous ignorions totalement notre avenir. J’ai vu avec quelle facilité et quelle rapidité les Alsaciens étaient démobilisés. Il suffisait d’un papier d’une « Kommandantur » quelconque, présenté par un parent, un ami et immédiatement l’intéressé ramassait ses affaires et disparaissait. Je me rappelle en avoir mis un en garde, c’était trop beau. Alors que l’on ne savait pas si nous pourrions rentrer chez nous. Eux partaient tout de suite en Alsace. Je ne sais pas s’il savait que c’était pour changer d’uniforme et laisser leur vie en Russie ou ailleurs.

Ayant appris le partage de la France en 3 zones, l’interdite d’abord, l’occupé ensuite et enfin la zone libre, j’ai finalement été au bureau démobilisateur du Martres de Veyre (Puy de Dôme). Ils n’avaient à leur disposition qu’une carte de France d’un format 10/10 pour situer les différentes zones. Mais j’ai appris que la limite de la zone occupée était fixée sur le canal de la Marne à la Saône. Quelle joie !! J’allais pouvoir rentrer à Langres, retrouver ma femme, mon fils et ma mère.

Ma démobilisation eu lieu le 8 aout 1940 et revêtu d’un costume civil taillé dans un drap kaki des uniformes de l’armée, j’ai regagné ma ville natale par le train. Quelle émotion et que joie de voir se profiler « intact » depuis la gare les tours de la cathédrale.

Bref pour mon compte personnel, je n’ai vu les soldats Allemands que dans les gares qui nous séparaient de Langres. Hormis les avions qui nous avaient survolés lors de la débâcle. Dès le retour chez nous, je les ai vus quotidiennement car la kommandantur avait été installée à l’hôtel de ville, et certains soldats fréquentaient le café de ma mère pendant 4 ans. Un jour un homme en uniforme attira mon attention par une connaissance parfaite, quasi sans accent du français. « Ils sont venu me piquer à la légion » me répondit-il. Et ils, étaient ses camarades. »

 

Le déjeuner s’attarda jusqu’au milieu de l’après midi. La belle équipe, un peu éméchée, ne voulant pas se quitter, imagina un tour des lacs. Ce fut surtout les petits bars, guinguettes et autres établissements désaltérant qui les préoccupaient. Je ne pus les faire tous. Au deuxième, et malgré la meilleure volonté, je pris la voiture du grand père, sa traditionnelle Peugeot, pour me reposer au frais, à la maison. Les 7 compères attaquèrent courageusement et de face le troisième lac. La moyenne d’âge dépassait 80 ans et ils me parurent inusables.

Ils me saluèrent heureux peut-être d’avoir trouvé une paire d’oreilles qui ne connu pas leurs histoires. Fut-ce simplement la bienveillance de grands parents, ils étaient certainement fiers d’avoir tenu plus que moi, un gamin de 20 ans.

 

Je ne les revis jamais. Le grand homme surnommé « M. le préfet » mourut quelques années plus tard d’un cancer. Il avait au préalable tenté un dernier coup d’éclat par une tentative de suicide. Il ne résistait plus à la folie de sa femme et ne pouvait accepter le divorce. « On ne revient pas sur sa parole » avait-il dit. « Un engagement est un engagement quel qu’il soit ! En plus à mon âge… » La rupture d’anévrisme qui avait heurté sa femme réussit à l’emporter très peu de temps après lui. Les autres se sont tous éteints les uns après les autres dans le silence de mon grand père. Il me tendit un jour une feuille où je découvrais les noms des élèves de cette rentrée de la promotion 1922.

Il me dit « Tiens regarde, je suis, ici aussi, le dernier… »

 

 

Il n’y a plus personne aujourd’hui de cette promotion. Tous ont fait leur rentrée sous l’œil expert de Saint Pierre. Les cloches célestes ont sonnées le rassemblement. La classe est désormais au complet, là-haut.

Des soldats du 21ème seule 3 ont assisté a sa dernière grande balade. Ils étaient de dix ans plus jeunes.

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Desigual
  • : Bonjour, aux curieux visiteurs, si vous êtes venus par accident, j'espère que vous resterez un peu. Je vous propose une zone de partage. N'hésitez pas à laisser votre avis.
  • Contact

Recherche

Archives

Catégories

Liens